muséologie, médiation scientifique, musée, culture

Cultiver la science au musée : évolution de la médiation scientifique

La création de dispositifs innovants pour répondre à l’évolution de la médiation scientifique

 

La médiation scientifique se réinvente dans les musées… Une nécessité pour répondre aussi à l’évolution des publics !

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Ateliers Kapla® à Cap Sciences, Février 2018.

En réponse au texte de Jean Davallon, publié en 1994 et présenté dans l’article « Épisode 1 » (à retrouver ici), Gaëlle Crenn a proposé, en 2016, le texte « Cultiver les sciences au musée, demain ? ». Ce texte a été publié dans la revue Cahier d’Histoire du CNAM, volume 5 (l’article original peut être retrouvé ici).

Une importante évolution des institutions muséales et des objectifs de médiation scientifique est en cours depuis 1990. Ceci s’accompagne d’une adaptation des expositions aux visiteurs. Visiteurs, qui sont de plus en plus mis au centre des expositions et qui deviennent de véritables acteurs de leurs découvertes et de la création des savoirs.

Les institutions muséales (voir l’article précédent pour la définition) doivent donc faire preuve de davantage d’imagination et être créatives afin d’attirer les visiteurs (en particulier le public des adolescents et jeunes adultes, souvent réfractaires aux musées).

Quels moyens sont donc mis en œuvre par les institutions ? Vous allez voir à travers différents exemples que les institutions ont bien pris en compte la problématique et rivalisent d’originalité…

En quoi ces dispositifs de médiation scientifique innovants inscrivent-ils les institutions muséales dans une approche renouvelée et différente de la médiation des sciences ?

 

Buts des dispositifs de médiation scientifique innovants

Durant la deuxième partie du XXème siècle, les institutions muséales ont subi une crise de confiance, ce qui a entraîné une désertion des musées. La réponse des institutions a donc été d’élargir les moyens de médiation, ce qui s’est accompagné d’une évolution des dispositifs de médiation et de communication. Ces nouveaux dispositifs se doivent d’être innovants et nécessitent de prendre en compte les attentes et besoins des visiteurs. Ils permettent d’interroger sur les relations entre les publics visés et les institutions muséales, ainsi que sur leurs rapports aux sciences.

De nombreuses questions sont donc soulevées par ces dispositifs :

  • Quel doit être le rôle des institutions ? Pédagogique ? Accompagnateur ?
  • Doivent-elles aider à l’ouverture d’esprit, ainsi qu’à l’affutage de l’esprit critique ?
  • Sont-elles là pour rendre les visiteurs plus autonomes ?
  • Doivent-elles réconforter la confiance dans les sciences ?

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Jeux de classement, exposition Pasteur, Palais de la Découverte, Décembre 2017.

 

Des dispositifs de médiation scientifique pour accompagner une transformation de l’économie des institutions

L’accroissement des nouveaux dispositifs de médiation s’inscrit également dans une transformation de l’économie des institutions. Il y a notamment un concept « d’évènementialisation » qui va rapprocher les institutions muséales du monde du spectacle :

  • Multiplication des expositions temporaires. Par exemple, le CCSTI (voir Épisode précédent pour la définition) Cap Sciences, à Bordeaux, ne propose aucune exposition permanente. Au contraire, elles ne durent que quelques mois à un an. Le Palais de la Découverte, à Paris, présente également des expositions temporaires d’une durée de quelques mois. En ce moment, il s’agit de l’exposition Pasteur, dont je vous ai parlé dans cet article, . Cette façon de faire donne un aspect éphémère et rare, qui du coup rend les expositions attirantes et sensationnelles. Certains centres vont pousser plus loin cette caractéristique en ne proposant des activités que sur des très courtes durées (telles que les vacances scolaires). C’est le cas avec Cap Sciences qui n’a mis en place des défis de construction Kapla® qu’entre le 10 Février et le 11 Mars. Ou encore la Cité des Sciences qui ne propose son Escape Game, « la Chambre des Deux Infinis », qu’entre le 10 Février et le 11 Mars.

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  • Diversification des types de médiation. De plus en plus de conférences, concerts, workshops ou autres ateliers vont être utilisés pour diffuser et transmettre les sciences. Ainsi, depuis Juin 2016, dans le Musée des Arts Asiatiques Guimet, à Paris, des soirées Guimet [Mix] sont organisées. La dernière, la 5ème édition, a eu lieu le 14 Octobre 2017. Le DJ Renart avait mixé sa techno ésotérique et les archives sonores du musée, et les visiteurs avaient pu danser jusqu’à minuit au milieu des impressionnantes statues de la salle Khmère. Une façon inédite de valoriser les œuvres du musée !

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Issue de la vidéo Youtube, ici.

Ces dispositifs de médiation, bien que très originaux et attractifs, risquent quand même de dégrader les spécificités éducatives, sociales et pédagogiques des institutions muséales. Il faut donc arriver à doser entre l’aspect spectaculaire des dispositifs et l’aspect pédagogique, car le but ultime de ces institutions (selon moi) est la transmission des savoirs ! Il faut donc que le visiteur reparte avec un minimum de connaissances.

Cependant, bien que peu pédagogiques, ces innovations ont malgré tout la possibilité de fidéliser les visiteurs (notamment les jeunes) qui ensuite reviennent dans le cadre plus « classique » de la visite du musée. Le but de ces dispositifs innovants ne serait alors pas de transmettre une connaissance, mais de fidéliser et faire revenir les publics.

 

Des dispositifs de médiation scientifique transgressifs

Pour attirer les publics les plus récalcitrants, certaines institutions muséales frappent un grand coup et permettent de transgresser des normes et donc de se distancer de l’institution muséale « classique » :

  • Proposition d’horaires flexibles. Cela permet aux jeunes actifs de venir plus facilement ; ils sont plus disponibles. Par exemple, des « After », comme les soirées Guimet [Mix] ou des « Before ». Ainsi, le concept « Jurassic Lounge » de l’Australian Museum de Sydney (de 2011 à 2013), permettait l’ouverture du musée de 17h30 à 20h30. Des petits-déjeuners sont parfois aussi proposés, c’est le cas du programme « FastBreak » organisé par le musée Powerhouse Museum de Sydney (musée de science et de design) et toujours d’actualité. Le musée ouvre pour des petits-déjeuners exceptionnels, tous les deux mois, entre 7h45 et 9h. Ces horaires particuliers évitent le contact des visiteurs « indésirables » (familles, enfants), donnent le sentiment d’être privilégié et favorisent « l’entre soi ».

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Issue de l’interview sur l’exposition, ici.

  • Manger dans les musées. Il s’agit peut-être de l’une des interdictions que l’on a le plus entendu. Or, avec ces dispositifs innovants, on cherche à créer une atmosphère « cocooning » et intime. Les visiteurs sont à l’aise, comme dans leur salon. Et cela passe donc par la possibilité de boire et manger (les petits-déjeuners du Powerhouse s’accompagnent de pâtisseries et de boissons).

  • Parler et toucher. Oui ! Certains de ces dispositifs innovants permettent de transgresser LA règle la plus importante dans les musées : toucher et manipuler des objets ! Et aussi… la fameuse règle du silence ! En effet, des ateliers demandent parfois la coopération et la discussion entre les visiteurs. C’est notamment le cas avec le Musée Saint-Raymond, le musée des Antiques de Toulouse, qui a créé une visite inédite pour les adultes. Ces derniers peuvent parfois se sentir exclus par l’univers des institutions muséales. Les « Escape game », qui fleurissent de plus en plus, demandent également des échanges et de l’esprit d’équipe entre les visiteurs.

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Focus sur la visite insolite du Musée Saint-Raymond

Pour certains adultes, les musées peuvent apparaître comme des lieux austères, poussiéreux et ennuyeux, où il n’est pas possible de s’exprimer ou de toucher quoi que ce soit. Parfois, les visiteurs ont l’impression que les contenus présentés ne leur sont pas adressés ou qu’ils vont être traités comme des élèves sur les bancs de l’école.

Après avoir recueilli ces a priori et avis des publics potentiels, le Musée Saint-Raymond, musée des Antiques de Toulouse, a décidé de mettre en place un nouveau dispositif de médiation. C’est une nouvelle visite, destinée à divertir et intéresser les publics adultes, même les plus récalcitrants.

Pour cela, un médiateur va guider les visiteurs dans un parcours assez original où il sera possible de toucher et d’observer en détails des œuvres, ainsi que de défier les autres participants et de poser des questions. Il y aura notamment un dispositif de réalité augmentée qui permettra à l’utilisateur de reconstituer ou de sculpter le Discobole.

Cette visite insolite aura donc lieu le Dimanche 25 mars entre 14h30 et 16h00. Pour connaître les tarifs et les détails de la réservation, cliquez !

 

Des dispositifs de médiation scientifique qui demandent l’engagement des publics

Les dispositifs de médiation innovants demandent de plus en plus l’engagement et la participation des publics. Les savoirs ne sont plus simplement mis à disposition, mais les visiteurs doivent réaliser des expériences, résoudre des énigmes… afin de les découvrir et, ainsi, pouvoir les assimiler plus facilement. L’engagement des publics est suscité à travers leurs émotions et leurs expériences passées : les institutions muséales se doivent d’écouter et de prendre en compte les passifs et les savoirs des visiteurs. Les publics ont aussi des choses à apporter, peut-être même à apprendre aux institutions. Celles-ci deviennent alors un centre de partages et d’échanges. Replacer les visiteurs en posture d’acteurs leur permet d’exprimer leur curiosité et leur désir de faire les choses par eux-mêmes. Cela stimule les échanges et la coopération entre les visiteurs et redonne donc une dimension sociale aux musées.

Par exemple, au musée d’Histoire Naturelle de Londres, les visiteurs avaient la possibilité de manipuler les collections du musée, et, à Dublin, à la Science Gallery, il était possible de faire un atelier « Hack the Coca-Cola recipe ». Ceci permettait de manipuler des outils de chimie (erlenmeyer, tubes à essai…) et aussi de montrer qu’en faisant de la cuisine, on fait aussi de la science ! Ou encore les ateliers de créativité technique de l’ESPGG (Espace Pierre-Gilles de Gennes). À partir de matériaux du quotidien, il est proposé à tous (de 7 à 77 ans), de construire sa propre machine ; qui vole, qui écrit toute seule ou encore qui monte le plus haut.

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© Pixabay.

 

La création de savoirs à travers le DIY

Les dispositifs de médiation par la création (le DIY ; « Do It Yourself ») sont de plus en plus prisés par les institutions muséales, et plus particulièrement par les « tiers-lieux ».

Actuellement, le monde de la médiation connaît un chamboulement et des évolutions, comme on l’a vu avec la transformation des dispositifs de médiation. Or, les « tiers-lieux » répondent très bien à ces évolutions. Notamment les « Fab Labs » (dont je vous ai parlé dans l’article dédié à l’association Arbalet). Il est possible d’y découvrir des machines innovantes (imprimante 3D, découpe laser…) et aussi d’y rencontrer des personnes issues de tout horizon. C’est également le but de l’original Eurékafé, le café toulousain, qui met la science à la portée de tous.

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Arbalet Saint-Jean en Gare de Bordeaux.

Le but est donc, certes le lien social, mais aussi la possibilité de créer par soi-même, d’apprendre à manipuler des machines originales et donc de donner au public la possibilité d’innover et de se réapproprier les sciences et les connaissances. Ces lieux permettent de supprimer les freins que certains publics pouvaient se mettre en pensant que les sciences ne leur étaient pas destinées. Ils les poussent à les réinvestir, ce qui conduit à l’apport et à l’échange de « savoirs profanes ».

Tiers-lieux : « troisième place » en anglais. Fait référence aux environnements sociaux qui ne sont ni liés au travail ni à la maison (traditionnellement : coiffeur, centres commerciaux …). Aujourd’hui, terme surtout utilisé pour des lieux dédiés à la vie sociale, aux échanges, rencontres et partages. Des lieux où il est surtout possible de se réunir et de discuter de manière informelle.

Pour en savoir plus sur ces « tiers-lieux », je vous conseille cet article, ici.

Les institutions muséales se mettent alors au service de l’innovation dont les publics sont les acteurs. Elles renouent ainsi avec leur histoire (notamment les modes de sociabilité du XVIIIème et du début du XIXème siècle). Elles redeviennent des lieux d’instruction, d’inventivité et de stimulation de la créativité, avec un intérêt marqué pour la productivité sociale.

 

Des dispositifs de médiation scientifique qui émerveillent

Aujourd’hui, on associe souvent les dispositifs de médiation innovants à une idée de « spectacularisation » de l’espace muséal. On valorise de plus en plus les expositions à travers des spectacles et des scénographies très variés. Certains musées ont fait le choix de jeux de lumières qui permettent de donner un caractère séduisant, dramatique et mystérieux aux expositions. C’est notamment le cas avec l’Australian Museum, où des jeux de lumières donnent une dimension spéciale et étrange à la salle exhibant les squelettes de dinosaures, ce qui rappelle l’évènement « la Nuit Européenne des Musées ».

Ces dispositifs permettent de réinterroger l’attitude que l’on a par rapport aux sciences. Auparavant, il y avait surtout un intérêt pour les études savantes, conduisant à l’exclusion du danger, du mystère et de l’émerveillement. Des sensations que l’on cherche aujourd’hui à ramener, notamment avec le concept des « Escape Game » qui peuvent donner une impression d’urgence et de « stress » au grand public. En effet, il doit résoudre des énigmes pour s’échapper d’un labyrinthe en un temps imparti. La notion de mise en scène théâtrale est donc très importante ici.

Il y a aussi une association de plus en plus prononcée entre art et science (comme avec l’association Arbalet). On organise des concerts, des danses… au sein même des institutions. C’est une manière de questionner les frontières entre les deux catégories. Cela questionne aussi sur la construction entre pensées scientifiques et non scientifiques.

 

Conclusion (ce qu’il faut retenir)

Bien que les institutions muséales renouent avec leurs modèles fondateurs du XIXè siècle, elles restent et se veulent contemporaines. Elles nouent des relations avec les visiteurs et cherchent à répondre à leurs besoins et leurs attentes. Pourtant, elles doivent encore apprendre à se mettre au service des usagers et doivent continuer à se « désinstitutionnaliser ». Elles deviendront ainsi un espace parmi d’autres de circulation des savoirs ; un « tiers-lieux ». Le visiteur doit de plus en plus être au centre de la médiation afin qu’il devienne un « utilisateur » du musée. Il faut qu’il puisse apporter quelque chose et ainsi se fidéliser. Les objectifs ne sont plus forcément de transmettre des savoirs. Au contraire, il s’agit maintenant de construire une nouvelle représentation de la science et une mise en relation avec les sciences où l’aspect ludique n’est plus réservé qu’aux enfants.

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Ateliers Kapla® à Cap Sciences, Février 2018.

 

Que pensez-vous des évolutions apportées aux dispositifs de médiation ? Pensez-vous qu’il soit important de placer les visiteurs au centre de ces dispositifs ?

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10 commentaires

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