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Les controverses scientifiques : seulement une histoire d’experts ?

Pourquoi les controverses scientifiques existent-elles ? Pourrait-on s’en passer ?

 

Controverses scientifiques… Des outils essentiels pour mieux comprendre le monde qui nous entoure ?

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Traban, Estonie, Août 2017.

Depuis toujours, nous, humain.e.s, cherchons à comprendre et à agir sur le monde qui nous entoure. Les sciences et techniques nous ont permis (et nous permettent toujours) d’obtenir ces connaissances et cette recherche de maîtrise de notre univers. Par contre, elles conditionnent nos modes de pensées et nos conceptions du monde. Les puissances (gouvernements notamment) les utilisent souvent pour justifier l’organisation de la société. Il y a donc une intrication permanente entre les sciences, les techniques et la société, d’où une fabrication conjointe des savoirs et de l’organisation sociale.

Les sciences et les techniques constituent également le socle commun du progrès et de l’innovation. Elles représentent des instances d’autorité qui se retrouvent au cœur de l’expertise et donc de la prise de décision et qui, aujourd’hui, sont omniprésentes dans notre société.

 

Les sciences et techniques sont partout dans notre société

Les sciences et techniques sont partout aujourd’hui, elles sont tout autour de nous. Faites-en l’expérience : regardez autour de vous (dans votre bureau, votre salon ou dans le RER en fonction de là où vous lisez cet article), prenez n’importe quel objet, même votre stylo, il a forcément fallu recourir à des techniques et des savoirs pour le créer (sauf si on croit en la volonté divine, mais ne serait-ce finalement pas aussi une technique de production ? Oui, on s’égare…). Bref, revenons à nos stylos… étant donné les techniques et les connaissances scientifiques qui ont été mobilisées, il y a forcément eu des controverses quant à leur fabrication et leur utilisation. Par exemple, un téléphone portable (pire, un smartphone), vous imaginez toutes les controverses qu’il peut y avoir (ou qui ont eu lieu) autour de cet objet ? Des controverses par rapport au plastique utilisé pour leur construction, par rapport au recyclage de certains matériaux (les batteries notamment), ou encore par rapport aux questions liées aux problématiques des ondes sur la santé. Dans la même veine, on peut aussi penser aux vives critiques essuyées par les coton-tiges…

Mais, concrètement, c’est quoi une controverse ? D’après le site CNRTL (le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales), une controverse est une discussion argumentée, une contestation sur une opinion, un problème, un phénomène ou un fait. Donc, imaginez plusieurs personnes (qui représenteraient des « parties » différentes) qui vont débattre et discuter sur des résultats ou des observations scientifiques afin de trouver un accord, un consensus ou afin qu’une des parties prouve aux autres que c’était l’idée qu’elle défendait qui était la bonne. Les controverses peuvent donc tout aussi bien impliquer des scientifiques, des industriels ou encore des consommateurs.

 

Pourquoi et comment étudier les controverses scientifiques ?

Les controverses sont un très vieux sujet d’étude qui ont donné lieu à de nombreuses analyses. Cependant, ces analyses mènent souvent à de mauvaises interprétations et explications de ces controverses et débats. Pour analyser une controverse, il est donc nécessaire de la considérer, elle, comme le sujet d’étude et de l’analyser au sein du milieu social dans lequel elle est née. Cela permet de mieux comprendre ce qui découle de ces controverses et comment elles peuvent modifier l’ordre social. En complément, il ne faut pas oublier d’étudier également les comportements des individus impliqués dans les controverses, ainsi que les rapports de force en présence.

Une controverse implique forcément au moins 3 parties :

  • Les deux parties ayant un différend.
  • Un public tiers devant lequel les deux parties s’affrontent. Les pairs constitue souvent ce public tiers (des scientifiques experts en neurologie par exemple si la controverse a pour thème la neurogenèse). Car c’est un public « connu » et donc considéré comme facilement « contrôlable ».

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il y a de nombreux codes qui régissent une controverse :

  • Les parties impliquées doivent avoir un droit égal à faire valoir leurs arguments.
  • Il ne doit pas y avoir d’agressivité. Il y a donc des règles de « bonne » conduite à respecter (accepter la critique, capable de marquer un désaccord avec un ponte de sa discipline).

Tous ces éléments sont à prendre en compte lorsque l’on veut étudier une controverse ; notamment pour être sûr qu’il ne s’agit pas d’une polémique. Contrairement aux controverses, une polémique est un « processus destructeur qui n’aboutit qu’à une impasse » d’après Bassem Hassan et Alexandra Affret, retrouvez leur article ici. Le débat a alors une vision scientifique des choses incroyablement restreinte. Le moteur du désaccord devient l’idéologie ou les intérêts économiques et non plus les faits scientifiques. De plus, considérer ces différents éléments d’analyse permet également d’éviter de faire une mauvaise interprétation où l’on conclurait que la controverse est la cause d’une découverte, alors qu’elle en est souvent la conséquence (ainsi l’existence avérée des microbes a été désignée comme le fondement des controverses entre les « Pastoriens » et leurs adversaires, alors qu’elle en fut plutôt une conséquence).

 

Des controverses scientifiques souvent confidentielles

Les controverses sont très importantes pour les avancées scientifiques. Elles évitent des erreurs d’interprétation ou permettent de vérifier des résultats. Cependant, elles restent souvent confidentielles et confinées entre les pairs. En effet, ce sont eux qui sont considérés comme rationnels et à même d’avoir une opinion valable, légitime et éclairée. Le grand public, en revanche, est souvent considéré comme irrationnel, soumis aux croyances et dirigé par les émotions, la méfiance, voire la peur. Il n’est pas intégré aux controverses et en sera donc exclu le plus souvent possible. Même si parfois, il arrive que les controverses débordent du cadre des pairs. Elles deviennent alors des « crises institutionnelles », qu’il est parfois difficile de contrôler. C’est le cas par exemple de la « Querelle du Cid ».

La « Querelle du Cid » :

Créée en 1637 par Corneille, la pièce de théâtre Le Cid remporta immédiatement un immense succès. Pourtant, elle se heurta également à de vives critiques qui passionnèrent l’opinion. L’opinion exprima une quarantaine d’avis pour ou contre Corneille en un an. Ils contenaient parfois des injures, voire même des menaces physiques.  Cependant, on y trouvait aussi des propositions valables d’esthétique, de dramaturgie ou de stylistique. C’est le premier grand exemple dans les temps modernes d’un phénomène de théâtre donnant naissance à une crise idéologique féconde. D’après ArchiThea, son article à retrouver .

Pour en savoir plus sur cette querelle, vous pouvez aussi consulter cet article.

Cette volonté d’exclure le grand public des controverses est sûrement l’une des causes de l’hostilité que, parfois, les citoyens peuvent avoir envers les sciences. Pour éviter de telles dérives, il est donc important que les citoyens puissent aussi prendre position et se forger une opinion. Certes, ils ne sont pas des experts du domaine, mais ils restent concernés par les sujets de science et les découvertes. Ce sont quasiment toujours eux qui seront utilisateurs et consommateurs de ces découvertes ; ils sont donc en réalité légitimes pour donner leur avis. Il n’est pas forcément nécessaire que les citoyens aient un important bagage scientifique. Il faut juste qu’ils fassent l’effort de se renseigner et de se concerter. Ceci leur permettra d’avoir un esprit critique sur les sciences et sur la façon dont elles sont produites.

Les citoyens pourraient ainsi prendre part aux controverses et interroger les parties impliquées. Ils comprendraient donc leurs motivations, leurs arguments et les raisons de leurs choix. De plus, des citoyens éclairés pourraient devenir de très bons alliés lorsque les controverses débordent dans l’espace public : ils pourraient expliquer, discuter et défendre certaines discussions auprès des autres citoyens. De plus, ils seraient de très bon alliés contre les « fake-news » qui pullulent actuellement. Ils aideraient à lutter contre ceux qui voudraient détourner les controverses et les transformer en polémiques, donc en débats stériles. Débats, où finalement, on ne chercherait qu’à décrédibiliser les parties en présence et où on en oublierait le réel sujet initial de la controverse.

Garder les controverses au sein d’espaces clos, sans écouter et prendre au sérieux les questions et critiques de la société pourrait donc finalement se révéler contre-productif pour les acteurs, voire même dangereux. Cela les exposerait aux critiques toujours plus construites et (faussement) argumentées des « complotistes » (créationnistes, platistes et autres anti-vaccionistes).

 

Conclusion (Ce qu’il faut retenir)

Les controverses scientifiques sont inévitables aujourd’hui dans notre société. Effectivement, les sciences et techniques sont partout et, souvent, rythment même nos vies. Ces controverses sont étudiées depuis longtemps, mais les méthodes d’analyse utilisées n’étaient pas forcément les plus adaptées. En effet, il est important que les controverses restent bien au centre de l’étude. Elles doivent être analysées dans le milieu social dans lequel elles sont nées.

Bien qu’omniprésentes, les controverses sont encore trop souvent confidentielles et élitistes. Elles excluent les citoyens, pourtant les premiers concernés par l’utilisation des sciences et des technologies. Aujourd’hui, il est donc important que les parties impliquées dans les controverses acceptent et prennent en compte l’avis de la société. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, elle a son mot à dire…

 

Que pensez-vous des controverses en science ? Sont-elles nécessaires ? Les citoyens doivent-ils y prendre part ?

 

Sources (en plus de celles déjà citées) :

  • « À quoi sert l’analyse des controverses ? » par Cyril Lemieux, publié en 2007 dans Revue d’Histoire Intellectuelle.

  • « Pour une intelligence publique des sciences » par Isabelle Stengers, publié en 2011 dans Alliage.

  • Cours du Cnam, Certificat « Construction d’une Opération de Culture Scientifique et Technique » Michel Letté : « Innovations, STS et controverses socio-techniques ».

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6 commentaires

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